samedi 28 mai 2016

Madame de Pompadour, vue par d'Argenson (12)

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Si Madame de Pompadour suscita bien des haines, celle que lui vouait le Marquis d'Argenson fut particulièrement mordante.Voici, année par année (ici, le début de l'année 1756), ce qu'il rapporta d'elle dans son journal.
d'Argenson
(pour lire l'article précédent, c'est ici)
Janvier 1756

La nouvelle maîtresse du Roi se nomme la demoiselle Fouquet, fille d’une coiffeuse, jolie et spirituelle, et qui pourra bien chasser la marquise de Pompadour.

L’on prépare encore à Sa Majesté, comme je l’ai dit, Mme de Cambis, mariée depuis deux mois. Elle n’a pas voulu encore consommer son mariage avec son époux, réservant son pucelage pour notre monarque, et ce mari va retourner dans ses terres. (Ndlr : Gabrielle de Chimay, vicomtesse de Cambis, s'était mariée en 1755 avec un colonel de régiment)

Le parti de la marquise de Pompadour influe plus que jamais sur le gouvernement, et le Roi parait soumis à ce corps de favoris et de favorites, les ministres sont abasourdis et n’ont plus de crédit. Mon frère (le comte d'Argenson) se soutient comme il peut, toujours déclaré brouillé avec cette marquise.

La marquise de Pompadour est restée puissante en crédit, quoi qu’elle n’ait plus les fonctions de maîtresse, étant devenue le centre des consolations royales pour les affaires. Elle sert de contrôle aux ministres, et surtout contre mon frère ; elle s’est réunie à quelques gens qui entendent un peu aux affaires comme M. de Machault, MM. de Puisieux et Montmartel, etc. Le Roi ne se croit en vérité et en sûreté qu’avec cette coterie; ce sont d’autres lui-même.

La marquise de Pompadour influe, dit-on, plus que jamais sur les affaires, elle ordonne aux ministres. M. Rouillé va souvent prendre son ordre; elle rapproche l’abbé de Bernis du moment où elle le destinait au ministère des affaires étrangères, elle retarde son départ pour Madrid et, pour cet effet, l’on boude la cour d’Espagne, on affecte d'être mécontent : affectation de toutes parts, la bassesse augmente à la cour, chacun va ramper plus que de mon temps devant l’idole. La duchesse de Mirepoix est devenue sa favorite ou sa suivante, elle voyage avec elle dans le carrosse de la marquise, Mme de Mirepoix sur le devant de la voiture.

L’on prétend et l’on m’assure qu’il y a une intelligence ou correspondance secrète entre la marquise et le roi George d’Angleterre, que celui-ci lui a écrit de sa main, et que Mme de Mirepoix en est l’entremetteuse, et tout cela n’est pas si caché que la chose ne se répande dans le public. L’on dit cependant que le Roi n’est pas informé de ce secret. 
la marquise en 1756
( En fait, au moment où la se préparait la guerre, c'est l'Autriche qui venait de faire appel à Mme de Pompadour pour nouer une alliance avec le royaume de France)

Le Roi se laisse ballotter ainsi, et, privé de l’usage de réfléchir et de la présomption de décider, sa volonté n’est que l’organe de ce petit conseil de la favorite.

L’on remarque cependant chez cette dame l’affectation de paraître premier ministre et de décider tout haut; elle déclare à chacun son sort, et le Roi ne la désavoue de rien.

Février 1756

Dimanche au soir, fut déclaré à Versailles que la marquise de Pompadour était reçue au nombre des dames du palais de la Reine, d'où l’on conjecture que c’est aussi une déclaration qu’elle n’est plus ouvertement maîtresse du Roi; l’on dit même qu'elle commence à parler dévotion et molinisme; ainsi elle va chercher à plaire à la Reine comme elle a fait au Roi. Tout ce crédit que nous lui voyons depuis trois ans que le Roi a de nouvelles maîtresses, n’est que la récompense de la douceur et de l’honnêteté avec lesquelles elle a pris les infidélités de son amant; cela n’est que précaire. L’on conjecture que cette dame va rester l’amie du Roi, mais que l’assiduité diminuera dans l’exercice de cette amitié. Elle sera conciliatrice entre le mari et la femme, l’arbitre et le canal des grâces pour la famille royale, régulière pour les pratiques de religion, si elle n’est pas dévote, charitable, d’une conduite irréprochable, déclarée sans pollution à l’égard du Roi, amie de tout le monde, enfin jouant à la cour le plus grand rôle, et aussi digne d’un bon esprit qui a tiré grand parti de sa faveur et de ses grâces naturelles, qu’elle était peu destinée à le tirer d’une basse naissance et d’une intelligence très ordinaire.



On s’en doutait : la marquise devient dévote pour plaire à la Reine, cependant elle conserve toujours son rouge et a soin de sa parure plus que jamais. Elle a pris pour confesseur le P. de Sacy, jésuite, célèbre déjà par quelques ouvrages et surtout par des directions : voilà l’ordre des jésuites tout relevé. Elle se lève la nuit pour prier, elle va à la messe tous les jours, elle mange maigre fêtes et dimanches, on a bouché les portes les plus secrètes qui allaient de son appartement à celui du Roi, enfin que de bigoterie pour plaire à la Reine et à la Maison royale ! L’on dit même que cette pieuse amie engage notre monarque à la dévotion et que Sa Majesté fera ses pâques, mais elle est bien riche, dit-on, et elle devrait restituer aux pauvres. Elle a écrit à son mari pour lui offrir de se remettre avec lui, et la réponse de celui-ci lui était dictée; il répond donc que le genre de vie qu’il a embrassé lui en a formé une habitude qu’il ne peut quitter, et qu’elle est bien dans le pays qu’elle habite. Ainsi, voilà la Reine et la famille royale bien satisfaites sur la régularité de conscience de cette dame. Le Roi a, dit-on, deux autres maîtresses. (…) 
( Ledit époux fit en effet une réponse qui dût la satisfaire. Jugez-en plutôt : (...) Quelque sujet de mécontentement que vous m’ayez donné, je veux croire que vous êtes jalouse de mon honneur et je le regarderais comme compromis si je vous recevais chez moi et que je vécusse avec vous comme ma femme. Vous sentez vous-même que le temps ne peut rien changer à ce que l’honneur prescrit ...)

Déchaînement universel contre la promotion de Mme de Pompadour à la place de dame du palais de la Reine ; tout y est contraire, et l’on espère que le Roi, bien informé de ce cri public, va disgracier cette favorite dont l’ambition est expirante.

La religion est ouvertement offensée de l'abus qu’on en fait; l’hypocrisie en est l’âme. Les autres jésuites, et surtout le P. Griffet, blâment le P. de Sacy, leur confrère, d’avoir admis à pénitence cette dame, sans quitter la cour, après le grand scandale qu’elle y a causé. Cependant, entrant en semaine de service dimanche dernier, elle y a paru à souper au grand couvert parée comme un jour de fête.

On se plaint de cette nouvelle dame du palais associée à la plus haute noblesse à laquelle parviennent les dames de qualité; ces dames s’entendent pour représenter à la Reine qu’elles ne peuvent rester dans leurs places ayant pour compagne Mlle Poisson, fille d’un laquais qui avait été condamné à être pendu. La Reine la reçoit mal, la marquise s’en est plainte au Roi qui n’en a pas dormi de la nuit; plus elle entendra de ces plaintes, plus sa froideur et son mépris augmenteront. Le Roi en est blâmé universellement, car pourquoi, dit-on, avoir exigé cela de la Reine? Aussi les ennemis de la marquise sont-ils radieux à cet événement. Cependant rien ne paraît encore changé dans la façon de vivre du Roi avec sa bonne amie; il ne peut s’en détacher, et peut-être se piquera-t-il de la traiter avec plus de faveur à mesure que cette démarche ridicule lui attirera plus d’objurgations. Il se pique de sentiments absolus et à l’épreuve des rumeurs publiques.

La marquise prétend convertir le Roi et le ramener à la religion par son exemple. De faux services rendus à l’État font les chimères de sa conduite. Voyant le Roi amoureux d’autres beautés, elle veut le ramener à elle par la régularité des mœurs; certes c’est hypocrisie, mais à bonne fin. Ci-devant, elle faisait l’esprit fort devant le Roi pour assurer son règne ; elle admettait à la conversation avec le Roi le sieur Quesnay, son médecin, homme de beaucoup d'esprit et qui se pique d’être esprit fort, mais, depuis le dernier voyage de Fontainebleau, elle a commencé de parler de la religion révélée, et de se donner pour craintive des jugements de Dieu. Elle sait que le Roi a peu de forces pour les femmes, elle prétend le ramener à la règle d'un chrétien. Cependant l’on parle d’une nouvelle maîtresse pour le Roi; on nomme la comtesse de Noé qui est fort pauvre, et qui en aurait grande envie.
François Quesnay, l'un des penseurs de la physiocratie


Celle-ci (la Pompadour) est devenue immensément riche, elle veut se faire des amis à la cour et gagner à elle toute la famille royale par des grâces exorbitantes du droit commun, par conséquent par la ruine des finances, tandis qu’il faudrait diminuer la cour, son pouvoir et ses exactions. Nous le voyons déjà dans les finances, nous voyons aussi que les affaires étrangères sont menées par un chiffonnage de femme. Elle veut tranquilliser son amant par l’espérance, et jamais par la force de la netteté des démarches.

A cela le conseil de la marquise a joint la religion; elle a été ces jours-ci arranger pour elle une tribune et appartements de retraite aux Capucins de la place de Vendôme, elle y a mené des architectes, et voilà que cela sera bientôt prêt. Le père de Sacy est plus tolérant pour elle qu’aucun confesseur jésuite n’a encore été ; il a voulu que sa pénitente gardât le rouge et toutes les parures de Cythère, il n’a pas même exigé que l’on fermât les issues et communications secrètes qui vont de l’appartement du Roi à celui de son ancienne favorite, tant il est, dit-il, persuadé qu’il ne se passe plus rien de mal entre le Roi et cette ancienne favorite. Tout le clergé et les jésuites crient après cet excès de confiance, et l’on parle d’ôter les pouvoirs à ce père de Sacy.

Le Roi se livre à la nature, et cherche à se ragoûter par de petites filles très neuves qu’on lui fait venir de Paris. Il se pique d’emporter des p........ de quinze ans. On lui amena, il y a quelques jours, une petite fille de cet âge qui était à peine vêtue; il s’enrhuma à la poursuivre dans le lit et hors du lit. Cependant, il fait du bien à ces petites créatures, et, s’il se comporte en paillard, il ne fait rien en ceci contre l’honnête homme. L’on dit que le sieur Lebel, son grand pourvoyeur, est sur le côté, et l’on ne sait qui a procuré sa disgrâce.

L’on dit que la réponse de la Reine à la demande du Roi, pour donner une place de dame du palais à la marquise, a été comme il suit, et que c’est le président Héuault qui l’a composée. Il faut savoir que, quoique la Reine aille voir le Roi chaque jour à son lever, quand ils ont quelque chose à se demander, c’est par lettre. Cette réponse est donc: « Sire, j’ai un Roi au ciel qui me donne la force de souffrir mes maux, et un Roi sur la terre à qui j’obéirai toujours. »

Mars 1756 -

La marquise est plus favorite que jamais; l’on m’assure que le Roi n’a pas cessé un instant de l’adorer, et que les infidélités dont on a parlé sont feintes et supposées. Elle vient de s’assurer de la maison de Bellevue. Ce palais était bâti sur le terrain domanial de Meudon; l’on procède à un échange contre d’autres terres convenables au domaine, en sorte que cela lui reste comme patrimonial. Toute cette comédie de confesseurs et de régularité religieuse est évanouie; on n’en parle plus, et le monde en dira ce qu’il voudra; tout cela fait un mauvais effet dans notre France.

La marquise de Pompadour a été saignée pour un petit rhume, elle en est guérie et embellie, elle a abjuré la bigoterie qu’elle avait si bien commencée; elle se joue avec les grâces et les amours au lieu de prêtres et de mortifications. Le Roi a repris son amour pour elle : pendant le séjour à Bellevue, sa Majesté a été toujours enfermée avec elle, et jamais on ne l’a vu si galant et si empressé.

Avril 1756 -
 
 L’on travaille à une belle généalogie de Mme de Pompadour et de son frère Marigny. Leur nom est Poisson, et ils ont pour armes, des poissons : or, l'on a trouvé que la maison des souverains de Bar avait pour armes des poissons avec une barre d’argent, et l’on compose une histoire pour prouver que nos Poissons étaient des cadets qui déplurent jadis à leur branche aînée régnante et qui furent privés injustement de leur barre; l’on fait des titres, et voilà quelle est la folie des gens élevés par la fortune à la cour. 
(à suivre ici)



 

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