Voici, année par année (ici, la fin de l'année 1751 et les premiers mois de 1752), ce qu'il rapporta d'elle dans son journal.
(lire ici l'article qui précède)
Mai 1751-
Il est beaucoup question à la cour de la jeune comtesse de Choiseul, nièce de la marquise de Pompadour ; elle est jeune et jolie, et réussit beaucoup, surtout auprès du roi (...) On prévoit que le roi peut avoir quelque penchant pour cette jeune personne, et que la marquise, sa tante, en sera peut-être la dupe, quelque savante qu'elle soit dans l'art de gouverner notre monarque.
Octobre 1751-
Octobre 1751-
Un homme qui arrive de la cour dit que madame de Pompadour s'est récriée avec aigreur sur le peu de joie que le peuple a témoigné au Roi lors de son voyage à Paris, disant qu'il fallait décimer et pendre tous ces ingrats. Ce discours répandu sur son compte augmente la mauvaise volonté du peuple contre elle ; elle voulait venir à Paris, mais on ne le lui a pas conseillé. (...)
On ne tient que de mauvais discours dans Paris sur la famille royale, on en veut principalement à la marquise: l'on s'en prend à elle de la misère publique, et, comme le garde des sceaux (ndlr : Machault) passe pour sa créature et pour son valet, on ne parle que de le déchirer ; et véritablement il a à craindre quand il passe dans les rues de Paris. On s'en prend à lui des impôts, des mauvais paiements du trésor royal, de la misère, des bâtiments et des dons faits à la maîtresse et à sa famille. De tout cela, il résulte une mauvaise volonté dans le peuple dont on ne peut retracer ici les traits. Cette mauvaise et inouïe volonté est soufflée par la prètraille.
On ne tient que de mauvais discours dans Paris sur la famille royale, on en veut principalement à la marquise: l'on s'en prend à elle de la misère publique, et, comme le garde des sceaux (ndlr : Machault) passe pour sa créature et pour son valet, on ne parle que de le déchirer ; et véritablement il a à craindre quand il passe dans les rues de Paris. On s'en prend à lui des impôts, des mauvais paiements du trésor royal, de la misère, des bâtiments et des dons faits à la maîtresse et à sa famille. De tout cela, il résulte une mauvaise volonté dans le peuple dont on ne peut retracer ici les traits. Cette mauvaise et inouïe volonté est soufflée par la prètraille.
(Le montant colossal de la dette avait conduit l'autorité royale a vendre d'importantes quantités de blé à la Hollande, d'où la hausse du prix de pain et la crainte qui se répandit alors d'une nouvelle famine. Comme souvent, l'opinion publique rendit la Pompadour responsable de tous ces maux.)
Novembre 1751 —
L'on parle de quelque mouvement d'infidélité dans le cœur de notre monarque: il convoite la jeune Mme de Choiseul, cousine de Mme de Pompadour. L'on prétend que ce rhumatisme au genou, dont il était tant question il y a quelque temps, provenait d'être tombé d'une marche en revenant à tâtons de voir la nouvelle maîtresse. Elle est cousine de la marquise, c'est la marquise qui l'a mariée, et voilà qu'elle peut lui jouer incessamment le même tour que les sœurs de Mme de Mailly ont joué à celle-ci. La marquise lui faisait refuser les petits soupers, on lui faisait prétexter migraines et autres incommodités: le roi l'a surprise se portant bien malgré ses excuses, et a ordonné qu'elle soupâl avec lui. La marquise n'est pas du voyage de Choisy de demain, elle boude, elle va se reposer à Bellevue. Cependent on assure qu'elle est plus belle que jamais; mais le caprice préfère la nouveauté à la beauté. (...)
J'apprends que, le jour où Monsieur et Madame la Dauphine allèrent à Notre-Dame à Paris, passant au pont de la Tournelle, il y avait plus de deux mille femmes assemblées dans ce quartier-là qui leur crièrent : « Donnez-nous du pain, nous mourons de faim! » Madame la Dauphine tremblait comme la feuille; M. le Dauphin appella Chazeron, qui était à cheval et qui commandait les gardes; il lui donna sa bourse pour en distribuer ce qu'il jugerait à propos, n'osant pas jeter de l'argent dans Paris sans la permission du roi; mais, quand Chazeron eut donné quelques louis, ces femmes crièrent :
J'apprends que, le jour où Monsieur et Madame la Dauphine allèrent à Notre-Dame à Paris, passant au pont de la Tournelle, il y avait plus de deux mille femmes assemblées dans ce quartier-là qui leur crièrent : « Donnez-nous du pain, nous mourons de faim! » Madame la Dauphine tremblait comme la feuille; M. le Dauphin appella Chazeron, qui était à cheval et qui commandait les gardes; il lui donna sa bourse pour en distribuer ce qu'il jugerait à propos, n'osant pas jeter de l'argent dans Paris sans la permission du roi; mais, quand Chazeron eut donné quelques louis, ces femmes crièrent :
« Monseigneur, nous ne voulons pas de votre argent, c'est du pain qu'il nous faut, nous vous aimons bien ; qu'on renvoie cette p... qui gouverne le royaume, et qui le fait périr ; si nous la tenions, il n'en resterait bientôt rien pour en faire des reliques. » Je sais ceci d'un homme qui était dans les carrosses de M. le Dauphin.
L'on prend de grandes mesures pour la sûreté de Paris, et pour éviter des accès de révoltes populaires. M. Berryer et M. de Rocquemont, commandant du guet, ont travaillé beaucoup avec le ministre sur cela, et, en conséquence, ces deux nuits-ci, il y a eu grand mouvement dans Paris, gardes doublées, patrouilles, etc. L'on craint surtout le marché au pain d'aujourd'hui, et l'on a pris sans doute de grandes mesures pour que le pain n'enchérît pas. L'on tient les plus mauvais discours contre le gouvernement, et Messieurs du parlement s'y distinguent. Les parents de Mme de Pompadour se cachent chez eux : cette dame est d'une extrême affliction, et parle de se retirer dans ses terres, ne pouvant plus supporter la haine publique. (...)
On assure de plus en plus que le roi va renvoyer la marquise de Pompadour, et prendre la cousine de cette dame, la petite de Choiseul, ce qui opérera un grand changement dans le gouvernement.
L'on prend de grandes mesures pour la sûreté de Paris, et pour éviter des accès de révoltes populaires. M. Berryer et M. de Rocquemont, commandant du guet, ont travaillé beaucoup avec le ministre sur cela, et, en conséquence, ces deux nuits-ci, il y a eu grand mouvement dans Paris, gardes doublées, patrouilles, etc. L'on craint surtout le marché au pain d'aujourd'hui, et l'on a pris sans doute de grandes mesures pour que le pain n'enchérît pas. L'on tient les plus mauvais discours contre le gouvernement, et Messieurs du parlement s'y distinguent. Les parents de Mme de Pompadour se cachent chez eux : cette dame est d'une extrême affliction, et parle de se retirer dans ses terres, ne pouvant plus supporter la haine publique. (...)
On assure de plus en plus que le roi va renvoyer la marquise de Pompadour, et prendre la cousine de cette dame, la petite de Choiseul, ce qui opérera un grand changement dans le gouvernement.
Charlotte-Rosalie de Choiseul |
Décembre 1751 -
La crise augmente entre les deux rivales, la marquise de Pompadour et Mme de Choiseul, poussée par la comtesse d'Estrades (...) La marquise change et sèche sur pied de chagrin : on entendra parler un beau matin de sa retraite volontaire ; l'affaire est dans la crise actuellement. La marquise de Pompadour a fait grande faute de ne pas exiger l'expulsion totale de Mme d'Estrades, dès qu'elle s'est vue brouillée avec elle et celle-ci allant contre ses volontés; bien plus elle devait à sa sûreté cette expulsion, dès qu'elle s'est aperçue que Mme de Choiseul plaisait au roi et était poussée par Mme d'Estrades. La question est de savoir aujourd'hui si la marquise a cette force suffisante. Les choses avancent, dit-on, Mme de Choiseul est de toutes les parties de plaisir, de tous les voyages, de tous les soupers; elle dit à ses amies qu'elle est incapable de manquer à son mari, qu'elle déteste tous les jeunes gens qu'elle voit à la Cour, mais que pour le roi seul elle ne résisterait pas. (...)
Mme de Pompadour est plus belle que jamais et a l'air content; cependant l'on affirme toujours le triomphe de sa jeune rivale, Mme de Choiseul. On a remarqué que le Roi n'est point sorti de Versailles la semaine dernière, parce que celle-ci était de semaine chez Mesdames. Il se peut, dit-on, que Mme de Pompadour ait pris son parti de rester maîtresse du cœur et des actions, de paraître trompée sans s'en apercevoir, ce qui plaît à un amant qui fait cas de ces petites supercheries libertines, et de conserver par là son poste et sa faveur.
Une personne fort avant dans la confidence de Mmes de Pompadour et d'Estrades m'a dit que la jeune Mme de Choiseul n'était qu'un enfant dont la franchise divertissait le Roi pour quelque temps, mais que cet amusement ne pouvait être de longue durée, et qu'il n'irait certainement pas jusqu'aux dernières faveurs, que Mme de Pompadour se moquait de la crédulité de ceux qui y ajoutaient quelque foi, et qu'elle était bien sûre de son fait. (...)
La marquise paraît plus maîtresse du royaume que jamais : elle comble de caresses les étrangers, particulièrement M. de Kaunitz, ambassadeur de Vienne. Le Roi, dit-on, ne sait que s'amuser du babil de la petite Choiseul; il n'y a plus de sexe à notre monarque, il a commencé trop jeune, il ne peut plus rien absolument pour se satisfaire avec les femmes : ainsi la maîtresse domine toujours sur les actions et les déterminations, étant la gouvernante des autres amusements.
(Comme d'autres à la Cour, d'Argenson avait placé beaucoup d'espoirs dans "la petite Choiseul". Sans doute trop...)
Janvier 1752 -
Mme de Pompadour n'ose plus marcher dans les chemins qu'accompagnée : elle craint la fureur du peuple et les ennemis qu'elle a. A son dernier retour de Choisy, elle était précédée et suivie de deux cavaliers de la maréchaussée.
(...) Mme de Pompadour vient de lire les Mémoires manuscrits de M. de Torcy sur la paix d'Utrecht, et elle en parle volontiers avec ses amis, faisant à tort et à travers la savante en politique, affectation de caractère de femmelette, mais ce que cela dénote réellement c'est qu'elle compte de gouverner l'État de plus en plus comme premier ministre.
La marquise de Pompadour ne saurait souffrir que l'on dise devant elle que les provinces sont malheureuses; elle dit que ce sont les ennemis de M. de Machault (le garde des sceaux) qui le pensent et qui le publient, et que jamais le rovaume n'a été si abondant. Si l'on sait ces discours à Paris, voilà de quoi la faire plus détester que jamais, et ce sera avec justice et raison.
le roi, vers 1750 |
Janvier 1752 -
Mme de Pompadour n'ose plus marcher dans les chemins qu'accompagnée : elle craint la fureur du peuple et les ennemis qu'elle a. A son dernier retour de Choisy, elle était précédée et suivie de deux cavaliers de la maréchaussée.
(...) Mme de Pompadour vient de lire les Mémoires manuscrits de M. de Torcy sur la paix d'Utrecht, et elle en parle volontiers avec ses amis, faisant à tort et à travers la savante en politique, affectation de caractère de femmelette, mais ce que cela dénote réellement c'est qu'elle compte de gouverner l'État de plus en plus comme premier ministre.
La marquise de Pompadour ne saurait souffrir que l'on dise devant elle que les provinces sont malheureuses; elle dit que ce sont les ennemis de M. de Machault (le garde des sceaux) qui le pensent et qui le publient, et que jamais le rovaume n'a été si abondant. Si l'on sait ces discours à Paris, voilà de quoi la faire plus détester que jamais, et ce sera avec justice et raison.
(d'Argenson regrette à plusieurs reprises qu'on cache au roi la situation de misère dans laquelle se trouve le peuple.)
février 1752 -
La cour devient dévote, le garde des sceaux est entièrement converti et se montre d'une haute dévotion par ses pratiques; il a rendu à sa femme toute l'amitié et l'honneur qu'il lui devait. Mon frère (le comte d'Argenson) devient dévot également, et toute la cour va prendre ce parti. L'on sent que le Roi est touché de dévotion, et Mme de Pompadour se prépare à ne devenir plus qu'amie. L'intrigue dévote approche de la puissance, les jésuites influent sur les affaires; le Roi a déclaré qu'il ne sortirait pas de Versailles de tout le carême, et qu'il assisterait régulièrement au sermon et au service.
la Pompadour |
février 1752 -
La cour devient dévote, le garde des sceaux est entièrement converti et se montre d'une haute dévotion par ses pratiques; il a rendu à sa femme toute l'amitié et l'honneur qu'il lui devait. Mon frère (le comte d'Argenson) devient dévot également, et toute la cour va prendre ce parti. L'on sent que le Roi est touché de dévotion, et Mme de Pompadour se prépare à ne devenir plus qu'amie. L'intrigue dévote approche de la puissance, les jésuites influent sur les affaires; le Roi a déclaré qu'il ne sortirait pas de Versailles de tout le carême, et qu'il assisterait régulièrement au sermon et au service.
( Henriette, la fille du roi, venait de mourir : d'où cet accès de dévotion)
L'on me dit encore , pour me rassurer, qu'à voir le Roi avec sa maîtresse, la chute de celle-ci paraît prochaine, que Sa Majesté a l'air de l'ennui, de la taciturnité et du mécontentement le plus profond, que les voluptés d'amour sont entièrement passées du tempérament du Roi depuis l'âge de quarante ans, et qu'ainsi le règne de l'amour peut promptement céder à celui de la dévotion.(...)
La marquise se conduit avec dextérité pour continuer de plaire au Roi : elle ne lui parle aujourd'hui que de compassion pour ses peuples. (...)
Si Sa Majesté devient dévote, la marquise se prépare aussi à le devenir, elle ne sera plus qu'amie, et chacun des deux excitera l'autre à la piété. Ainsi vivent aujourd'hui quantité de gens du monde; l'on se sauve par où l'on peut. Par ces pratiques, ses liaisons durent et augmentent, à ce que m'assure un des amis de la marquise, quoi qu'en disent d'autres; mais son crédit dans les affaires doit en diminuer.
L'on me dit encore , pour me rassurer, qu'à voir le Roi avec sa maîtresse, la chute de celle-ci paraît prochaine, que Sa Majesté a l'air de l'ennui, de la taciturnité et du mécontentement le plus profond, que les voluptés d'amour sont entièrement passées du tempérament du Roi depuis l'âge de quarante ans, et qu'ainsi le règne de l'amour peut promptement céder à celui de la dévotion.(...)
La marquise se conduit avec dextérité pour continuer de plaire au Roi : elle ne lui parle aujourd'hui que de compassion pour ses peuples. (...)
d'Argenson |
Si Sa Majesté devient dévote, la marquise se prépare aussi à le devenir, elle ne sera plus qu'amie, et chacun des deux excitera l'autre à la piété. Ainsi vivent aujourd'hui quantité de gens du monde; l'on se sauve par où l'on peut. Par ces pratiques, ses liaisons durent et augmentent, à ce que m'assure un des amis de la marquise, quoi qu'en disent d'autres; mais son crédit dans les affaires doit en diminuer.
(On se souvient de Don Juan évoquant son projet de devenir dévot. Autre temps, mêmes moeurs...)
Mme de Pompadour se montre fort inquiète depuis quelques jours, et, si son crédit n'en est pas ruiné, il en paraît du moins partagé et fort énervé, et on conjecture que les voyages du Roi ne seront plus avec elle seule et avec ses amis, et que sa famille y aura grande part. Dieu veuille que ce changement aille au plus grand bien du peuple!
Mme de Pompadour a véritablement sujet de craindre : le Roi lui parle moins et ne trouve plus de consolation dans sa société; il n'en cherche que dans sa famille. Quand Sa Majesté alla coucher à Trianon, le jour du décès de Madame (Henriette), la marquise n'eut point d'ordre ni de réquisition d'y aller. (...)
Le Roi a le dévoiement, maigrit, mais a bon visage. L'on prétend que les affaires de la marquise ont repris leur train ordinaire, et que le partage de crédit auquel on a cru entre elle et la famille royale n'a aucun lieu.
Mme de Pompadour a repris sa faveur accoutumée, mais elle a plus de peine que ci-devant à arranger les voyages du Roi. Il faut que la dévotion du monarque ne fasse pas de grands progrès, car un courtisan m'a dit qu'aux dernières chasses le Roi avait dit : Bon! voilà deux sermons d'évités.
Mme de Pompadour se montre fort inquiète depuis quelques jours, et, si son crédit n'en est pas ruiné, il en paraît du moins partagé et fort énervé, et on conjecture que les voyages du Roi ne seront plus avec elle seule et avec ses amis, et que sa famille y aura grande part. Dieu veuille que ce changement aille au plus grand bien du peuple!
Mme de Pompadour a véritablement sujet de craindre : le Roi lui parle moins et ne trouve plus de consolation dans sa société; il n'en cherche que dans sa famille. Quand Sa Majesté alla coucher à Trianon, le jour du décès de Madame (Henriette), la marquise n'eut point d'ordre ni de réquisition d'y aller. (...)
Le Roi a le dévoiement, maigrit, mais a bon visage. L'on prétend que les affaires de la marquise ont repris leur train ordinaire, et que le partage de crédit auquel on a cru entre elle et la famille royale n'a aucun lieu.
Mme de Pompadour a repris sa faveur accoutumée, mais elle a plus de peine que ci-devant à arranger les voyages du Roi. Il faut que la dévotion du monarque ne fasse pas de grands progrès, car un courtisan m'a dit qu'aux dernières chasses le Roi avait dit : Bon! voilà deux sermons d'évités.
(Cet accès de dévotion n'aura guère duré...)
Mars 1752 —
Mars 1752 —
Il est vrai que la marquise n'a pas été du voyage de Choisy; c'était, dit-on, un voyage d'hommes; mais, au bout de vingt-quatre heures, les pieds grillaient au monarque d'aller retrouver la favorite, et il est retourné dans ses bras, quoi que disent les dévots zélateurs de sa disgrâce.
(à suivre ici)
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