mercredi 18 mai 2016

Madame de Pompadour, vue par d'Argenson (8)

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Si Madame de Pompadour suscita bien des haines, celle que lui vouait le Marquis d'Argenson fut particulièrement mordante.
Voici, année par année (ici, la fin de l'année 1752), ce qu'il rapporta d'elle dans son journal.

(lire les articles qui précèdent ici)
 
le Marquis d'Argenson

Mars 1752 -

Il est temps que ces troubles cessent entre le trône et le parlement, car, les bonnes raisons du parlement étant goûtées du peuple, et la religion compromise au premier chef, ceci serait capable de produire des mouvements funestes, surtout dans un temps aussi malheureux, où l’autorité royale ne parait plus que par des fautes et de mauvais succès. (...) Réduisons la cour à deux partis : la marquise, le garde des sceaux et les trois secrétaires d’État, excepté celui de la guerre; (...) De l’autre côté, les jésuites, nombreux et fins artisans d’intrigues temporelles et spirituelles, enrôlant à eux les grands et les plus petits qui leur font quantité d’émissaires, et qui les rendent plus puissants... 
(ndlr : toujours l'affaire des refus de sacrement, dénoncés par le Parlement - sous influence janséniste- et défendu à la Cour par le parti dévot)
 
Mai 1752 -
 
Mme de Pompadour et quelques ministres font solliciter d’Alembert et Diderot de se redonner au travail de l’Encyclopédie en observant la résistance nécessaire à toute tentation de toucher à la religion ou à l'autorité. J’en ai conféré avec l’un d’eux, et il m’a démontré l’impossibilité, pour des savants, d’écrire sans écrire librement. On est de plus en plus avancé en France par la philosophie en métaphysique ou religion, et en législation ou gouvernement. Les Anglais et ceux qui écrivent aujourd’hui dans les états du roi de Prusse ont écrit, écrivent et impriment tout ce qu’ils veulent ; leurs découvertes en tous genres éclairent le monde, et, venant jusqu’aux Français, qui sont vifs et pénétrants, nous avançons aujourd’hui en philosophie, et peut-être allons-nous plus loin que les autres, quoiqu'avec quelque communication de moins. Il résulte de ceci que, pour nos savants philosophes du premier ordre qui veulent écrire sur ces matières, il faut indépendance et dignité, ou rien,(...) et, de plus, il est arrivé que le gouvernement, effrayé par les dévots, est devenu plus censeur, plus inquisiteur, plus misérable sur les matières philosophiques, de sorte qu’on ne tolérerait pas seulement aujourd’hui les livres métaphysiques de l’abbé de Condillac, permis il y a quelques années.
(d'Argenson expliquait quelques mois auparavant que les Jésuites rêvaient de s'emparer du matériel encyclopédique. De fait, la Marquise apparaît alors comme la plus éminente protectrice des lettres)


Les poissardes ont insulté avant-hier, sur le Pont-Neuf, l’archevêque de Paris (l'impitoyable Christophe de Beaumont) qui passait, et ont dit: « Il n’y a qu’à noyer ce b.... (bougre)-là, qui veut nous empêcher de recevoir les sacrements de l’Église. » Son cocher a eu grand’peur. 
Christophe de Beaumon
Les gens du Roi rendirent hier matin la seconde réponse du Roi, semblable à la première : « Tant que la justice ne sera pas rendue à mes sujets, je n’écouterai rien de mon parlement. »

Il court dans le monde quantité de chansons contre la Constitution, ainsi que des estampes funestes où l’on dépeint les jésuites et les constitutionnaires comme ennemis des rois et comme capables de les immoler à leur zèle. Le public a repris son amour pour Louis XV, et l’on va même jusqu’à croire trouver de bons conseils dans Mme de Pompadour, depuis qu’on a su que M. le Dauphin était entêté pour la cause moliniste, bruit qui a couru de tous côtés scandaleusement. (Si d'Argenson condamne les partisans de la Bulle Unigenitus, il dénonce surtout le travail souterrain des Jésuites)



Août 1752 -

En attendant, la marquise dispose de tout. Mon frère dit tout haut devant moi qu’il ne peut rien accorder au mérite, et que Mme de Pompadour lui arrache toutes les places à donner. Elle se croit reine, et semble l’avoir rêvé une nuit. Elle disait dernièrement aux ministres étrangers : « Voilà bien des mardis où le Roi ne pourra vous voir, messieurs, car je ne crois pas que vous veniez nous chercher à Crécy. »

La marquise de Pompadour a plus de crédit que jamais, et s’en vante; elle est, dit-on, le cardinal de Fleury et demi. Mon frère dit à qui veut l’entendre qu’elle lui enlève toutes les places qu’il destinerait aux gens de mérite.

Septembre 1752 -
 
La mauvaise issue de notre gouvernement monarchique absolu achève de persuader en France, et par toute l’Europe, que c’est la plus mauvaise de toutes les espèces de gouvernement. Je n’entends que philosophes dire, comme persuadés, que l’anarchie même lui est préférable, puisqu’elle laisse au moins les biens à chaque habitant, et que, quelques troubles, quelques violences qui y surviennent, ils ne préjudicient qu’à quelques particuliers, et non au corps de l’État, comme celui-ci. Nous voyons ceci dans un grand jour sous le règne actuel : un prince doux, mais de nulle activité, laissant aller les choses dont les abus, commencés par l’orgueil de Louis XIV, vont nécessairement à la perte du royaume; nulle réformation quand elle est si nécessaire; nulle amélioration ; des choix sans lumières, des préjugés du temps sans examen; par là, tout va à la perte nationale de plus en plus, tout tombe par morceaux, et les passions particulières font leur chemin sous terre pour nous miner et nous détruire.
Certes, il y a aujourd’hui la violence de moins, et c’est un grand point, mais les trames sourdes du vice n’en vont qu’à un détriment plus assuré de la société, de la vertu et de la force nationale. Or, le même caractère obscur, mol et prévenu, qui a dominé au mal jusqu’ici, ne fait qu’en rendre le remède plus impossible. Cependant l’opinion chemine, monte, grandit, ce qui pourrait commencer une révolution nationale
— On assure que la marquise de Pompadour et son garde des sceaux ne tendent qu’à anéantir les suffrages du haut clergé, et que ce qui est venu de favorable au clergé depuis un mois provient du parti contraire à celui-là, de la famille royale, des jésuites, des dévots de la cour, de mon frère et des autres anti-parlementaires. Ainsi, ces deux partis sont bien à observer dans notre gouvernement; ils se dérobent des marches perpétuellement, et persuadent tour à tour le Roi, quand Sa Majesté est embarrassée d'incidents pressants (car ils ne viennent qu'au jour le jour). Ainsi, l’on cherche, de part et d’autre, à faire naître ces embarras pressants, ce qui met l'autorité à deux doigts de sa perte, avec de tels conseils.
(Au-delà de cette surprenante prophétie, d'Argenson nous rappelle ici quels sont les camps en présence)

La marquise et ses amis disent qu’on ne peut amuser le Roi absolument que de dessins d’architecture; que Sa Majesté ne respire qu’avec des plans et des dessins sur sa table, ce qui ruine les finances.

L’on prétend que l’accroissement du crédit de la famille royale est très mauvais pour la marquise de Pompadour. Elle s’est trompée en portant d’abord cet accroissement de crédit, pensant que cela ne tirerait point à conséquence. Mais elle a vu peu à peu le Roi prendre goût à causer avec ses enfants, et à se décider par eux sur bien des choses. Mme Adélaîde, l’aînée de toutes, augmente le plus en crédit; elle prononce en demandant l’ordre du Roi, elle dit : « Nous ferons ceci ou cela, et non : Vous plaît-il que cela soit, Sire? » Le Roi aime Mme Infante plus que ses autres enfants, tous disant hautement Maman p... (putain), en parlant de la marquise. L’on prétend que c’est à Fontainebleau où va se frapper le grand coup de la renvoyer. On étonne le Roi des jugements de Dieu. Si M. le Dauphin était mort de la petite vérole, c’était fait d’elle : elle allait être chassée, comme la cause de la colère de Dieu sur le royaume. (...)
 
la Pompadour vers 1754
J’ai vu depuis peu des personnes de la cour les mieux informées. Elles m’ont dit ce qui suit : On s’attend à une grande crise et de grands changements à Fontainebleau. D’avance le Roi en est fort triste ; on est persuadé que la marquise sera renvoyée, et que tout son parti écroulera peu après elle ...


Octobre 1752 — 
La marquise de Pompadour étant malade avec fièvre et rhume, le Roi, pour la consoler, vient de lui accorder un brevet d’honneur de la cour, comme avait Mme de Montespan du temps de Louis XIV, sans prendre pour cela le titre de duchesse. On avait dit qu’elle serait duchesse quand elle serait grosse, mais elle n’est ni l’un ni l’autre, car elle a été saignée du pied, ce qui l’a guérie. (...) (Enième retournement de situation en faveur de la Marquise. D'Argenson ne s'en étonne même plus)
Le brevet d’honneur de la cour accordé à Mme de Pompadour vient des bruits qui avaient couru que Mme Infante allait la faire sauter. Il a fallu rétablir cette dame dans son crédit par quelque marque extérieure de nouvelle faveur; (la nécessité de cela n’était pas bien établie)....


(à suivre ici)


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