Voici, année par année (ici, l'année 1755), ce qu'il rapporta d'elle dans son journal.
( Pour lire l'article précédent, c'est ici )
Février
1755 —
Bruit de
changement de maîtresse à la cour; le Roi est fort amoureux de la duchesse de
Broglie (Ndlr : Il s'agit de Louise-Augustine Crozat de Thiers mariée le 11 avril
1752 à Victor-François, duc de Broglie. Le 17 août 1754, elle avait été, dit la Gazette
de France, " mise par le Roi au nombre des dames nommées pour accompagner
Mmes Victoire, Sophie et Louise."), et lui a écrit une déclaration d'amour, c'est le grand bruit de la
cour, car l'on ne doute pas que la première condition exigée ne soit de
renvoyer la marquise. Certes ce serait un grand bonheur pour la nation que d'être
défaite de cette favorite. Présentement elle est pour le clergé, sous prétexte
de craindre pour la vie du Roi; elle se porte à des ménagements qui empêchent
la fin de l'affaire du clergé et des magistrats. Une nouvelle maîtresse coûtera
quelque chose à l'État, mais on espère qu'il y gagnera d'ailleurs. Le Roi,
devenant plus faible, a besoin de ragoûts pour ranimer ses feux; il a
aujourd'hui 45 ans. Dans ces dispositions, son amour sera-t-il une passion
capable de l'effort qu'on lui demande pour chasser son ancienne amie? C'est un
grand sujet de doute.
la duchesse de Broglie |
(Depuis l'exil du haut clergé, les menaces d'empoisonnement reviennent souvent dans les notes du mémorialiste. Il faut dire qu'en ce début d'année 1755, le roi tenait encore tête à l'archevêque de Paris...)
C'est un
applaudissement universel et de grands éloges donnés au Roi que cette nouvelle
disgrâce réaggravée contre l'archevêque de Paris. Le public est d'un grand
poids dans son suffrage; qu'un roi suive ce suffrage, qu'il attribue plus de
confiance aux compagnies qu'aux ministres et il est sûr de bien gouverner. Au
reste, l'on traite ici l'archevêque de Paris comme un enfant, comme un pécheur
entêté et impatient qu'on ne peut persuader; ce mépris est le comble de la
disgrâce,
Mars 1755 —
( C'est au printemps 1755 que ce conflit va connaître un dénouement tout provisoire)
Avant-hier se tint à Paris, chez
le cardinal de la Rochefoucauld, une espèce de concile de tous les cardinaux et
évêques qui étaient à Paris. Cela avait été précédé d'une visite de ce cardinal
à Lagny, chez M. l'archevêque de Paris, où celui-ci avait déclaré qu'il
ratifierait ce dont l'assemblée conviendrait, et l'on prétend (sans le savoir)
que le résultat de cette assemblée va finir l'affaire et conclure la paix entre
l'empire et le sacerdoce.
Cependant l'on croit impossible que les évêques puissent se
réduire suffisamment pour laisser les fidèles tranquilles sur ce chiffon de
bulle Unigenitus. Le parlement est bien éclairé et instruit de ces matières.
Il ne passera rien ; de son côté, le haut clergé ne voudra jamais reconnaître
expressément la compétence du parlement sur ces matières d'abus. Ainsi ce ne
sera que chicanes, subterfuges, et rien de net dans des matières si importantes
pour l'État. (...)
Je regarde même comme une grande
faute d'avoir permis une telle assemblée de prélats, qui ne feront que se tenir
plus fiers, tandis qu'en les humiliant on aurait la paix; mais la prochaine
assemblée du clergé contribue à ces ménagements pour en tirer de l'argent.
L'on assure l'affaire accommodée, et que l'archevêque de Paris promet
enfin de ne plus exiger des moribonds ni billets de confession, ni nomination
ou désignation de leurs confesseurs, ni autre chose hors du rituel, rite
confessus, le tout en vue de la bulle Unigenitus, au moyen de quoi
la déclaration du 2 septembre sur le silence sera bien observée.
Mais, ô malheur ! ô disgrâce pour la constitution Unigenitus
et pour les constitutionnaires ! voici qu'incidemment à cela le procureur général
a appelé de l'exécution de cette bulle et le parlement a prononcé qu'elle n'était
point règle de foi, défendant de la regarder ainsi à tout ecclésiastique, de
quelque ordre, qualité et dignité qu’ils soient (ce qui veut dire les évêques),
leur ordonnant de se renfermer dans le silence général respectif et absolu
ordonné par la déclaration du 2 septembre dernier.
Voilà la Constitution anéantie nationalement; la voilà
qualifiée et condamnée à un éternel silence.
Le peuple
est échauffé contre les prêtres, et ceux qui paraissent dans les rues en habit
long ont à craindre pour leur vie. La plupart se cachent et paraissent peu. On
n'ose plus parler aujourd'hui pour la Constitution et pour le clergé dans les
bonnes compagnies; on est honni et regardé comme des familiers de
l'inquisition.
II en résulte
donc que l'archevêque de Paris leur (aux curés de Paris) a donné ses ordres en
ces quatre articles: 1° que les curés qui porteront les sacrements auront des
conférences secrètes avec les malades, sans quoi ils remporteront les
sacrements; 2° que les malades déclareront s'ils ont été confessés par un prêtre
approuvé, sous même peine; 3° refuser les sacrements aux appelants qui ne rétracteront
pas leur appel; 4° que la prochaine assemblée du clergé décidera le sort des
billets de confession, non comme supérieure dans l'ordre hiérarchique, mais par
la seule déférence que l'on doit à des confrères éclairés. (…) Sur ces quatre
articles bien prouvés, bien établis pour les dépositions des curés, il y a
certes de quoi faire le procès en forme à l'archevêque de Paris, comme
perturbateur du repos public et comme désobéissant au Roi
J'entends à la cour parler d'infraction à l'autorité du Roi
par le parlement; hélas! c'est bien plutôt de la part de ce vilain sacerdoce.
Qui est-ce, en effet, qui l'attaque, qui désobéit, sinon les évêques? qui la
soutient pour la paix et pour la bonne discipline, sinon le parlement? On allègue
la religion: est-ce cette plate bulle Unigenitus? non, au contraire,
elle suppose un Dieu tracassier et auteur de tous les vices d'avidité de nos
infâmes prêtres.
L'on voit aujourd'hui les constitutionnaires occupés de
tramer au Roi des embarras dans sa cour par la famille royale.
Quant à
l'intrigue de cour, voici maintenant les deux partis : d'un côté, M. le prince
de Conti, le premier président et le parlement ; de l'autre, la Reine, la
famille royale, les bigots et les bigotes de la cour, le ministère, et, parmi
les ministres, principalement mon frère, M. de Séchelles (et même le garde des
sceaux, qui a tourné casaque), et la marquise de Pompadour, par crainte et par
haine du prince de Conti, du premier président, qu'ils voyaient devenir premier
ministre, et du parlement, dont la force se fait craindre à eux.
le prince de Conti, l'un des principaux opposants au roi (et à la marquise...) |
Avril 1755 -
Il faut
toujours définir le monarque pour juger des événements dans une monarchie telle
que la nôtre. On ne peut être moins propre qu'est Louis XV aux coups d'État; il
ose légèrement et témérairement, puis il s'ennuie et il craint ; jamais il n'y
a eu d'homme moins courageux d'esprit que ce prince. De là arrive que chaque
ministre qui l'approche sent peu à peu ses forces et n'a qu'à oser pour exécuter.
C'est ainsi que le cardinal de Fleury l'a gouverné pendant dix-sept ans; ainsi
la marquise, qui n'est plus la maîtresse depuis trois ans, continue à le dominer
par le ton et par la hardiesse; ainsi chaque ministre tire à lui la couverture
et la déchire.
Juin 1755 –
L’assemblée du clergé a accordé
promptement au Roi seize millions, dont six paraissent donnés comme pour tenir
lieu d’abonnement au vingtième. Cette assemblée a répété plusieurs fois avec
affectation le mot de don gratuit. En même temps Sa Majesté lui a recommandé de
travailler incessamment à une meilleure répartition de leurs impositions.
(On se souvient que le clergé s'était fermement opposé au paiement du vingtième)
(On se souvient que le clergé s'était fermement opposé au paiement du vingtième)
Août
1755 —
Le
7 au soir fut disgraciée la comtesse d’Estrades, dame d’atour de Mesdames de
France et cousine de la marquise de Pompadour. On l’éloigne de la cour
seulement, et on lui demande la démission de sa charge. C’est la marquise qui
lui cause cette disgrâce : elle s’était révoltée contre elle, et s’était donnée
à mon frère; nous avons à craindre quelque contre-coup politique dont ceci
serait l’avant-coureur.
Il est
certain que la cause apparente de la disgrâce de la comtesse d’Estrades est qu’elle
a maltraité Madame Adélaïde qui a demandé son changement, à quoi la marquise de
Pompadour, sa cousine, a fort applaudi, car elle avait toujours été ingrate à
son égard et l’avait toujours haie, même au milieu de la plus grande
distribution de ses bienfaits. Mme d’Estrades ne laisse point de regrets d’elle,
mais au contraire applaudissements publics de son éloignement…
(Selon certains biographes, il faut chercher ailleurs la cause de cette disgrâce. En effet, Mme d'Estrades, ennemie de la Pompadour, aurait encouragé la petite O'Murphy à se faire déclarer maîtresse en titre. Le plan échoua, comme on le sait...)
(Selon certains biographes, il faut chercher ailleurs la cause de cette disgrâce. En effet, Mme d'Estrades, ennemie de la Pompadour, aurait encouragé la petite O'Murphy à se faire déclarer maîtresse en titre. Le plan échoua, comme on le sait...)
Depuis qu’il est
question de guerre et de préparatifs, le Roi a pris de l’humeur contre la
marquise de Pompadour qui, à la vérité, est bien chère et coûte gros à l’État,
tant pour elle que pour les arts inutiles et pour les prodigalités qu’elle protège.
On avait tenu de semblables discours au cercle de conversation de Mme d’Estrades,
et cela lui avait été rapporté : « Il n’y avait, disait-on, qu’à renvoyer la maîtresse.» La marquise a donc été sur le côté : elle a cru important de reparaître accréditée
par un grand coup d’éclat, et elle n’a rien trouvé de mieux que de faire
chasser sa cousine: elle y a poussé le Roi et a insisté comme elle sait faire.
Elle est très grande comédienne , elle pleure avec grâce et joue le désespoir,
elle sait insister et l’emporter sans pour cela déplaire au Roi, et c’est par là
qu’elle obtient tant de choses que nous avons vues. Le Roi lui allégua que la
comtesse d’Estrades plaisait à Mesdames ; cependant la marquise avait su que,
depuis, Mme d’Estrades avait mécontenté Madame Adélaïde; elle alla donc trouver
cette princesse, et la tourna tant qu’elle en reçut cette réponse : « que Mme d’Estrades
l’ennuyait assez. » La marquise le fut dire au Roi.
la Pompadour, quelques années plus tard |
Le matin du jour de cette disgrâce, la marquise insista donc, pleura et
lamenta; enfin, une heure avant l’ordre, le Roi résistait encore, c’est ce qui
fit que la comtesse fut invitée de nouveau au souper de M. de Soubise; enfin le
Roi donna l’ordre fatal à M. de Saint-Florentin pour cette disgrâce, et lui a
conservé ses appointements, vu sa prétendue pauvreté.
Les secrétaires d’État font
courir le bruit que la marquise de Pompadour devient leur premier ministre, qu’ils
vont travailler chez elle et que bientôt le conseil se tiendra dans son appartement. L’on charge ce bruit avec affectation, et tout cela est fait par une
politique de sérail bien méditée pour dégoûter le Roi de la favorite, avec qui
d’ailleurs il ne prend plus ses plaisirs.
Octobre 1755 -
La favorite continue à piller l’État
et à assouvir une avarice sordide; plus elle est riche, plus elle veut l’être,
plus elle se mêle de tout, surtout des places de finance et des emplois
militaires et de cour. Or, l’argent devenant rare pour les finances et pour la guerre
qui presse, l’on pourra enfin persuader le Roi qu’il faut se défaire de cette
sangsue qui ruine tout, qui gâte tout, et qui déshonore le règne. Il ne faut qu’un
moment pour consommer ce coup d’État; le Roi gémirait quelque temps, puis n’y
songerait plus, et alors les ministres seraient, dit-on, les maîtres d’un règne
qui deviendrait bientôt despotique. Car il sort quelques bonnes choses de cette boutique de la favorite : elle
adoucit les coups de despotisme des ministres, c’est par elle que le Roi s’est
accommodé avec le parlement, c’est elle qui a adouci notre cause contre les
Anglais et qui a jeté le Roi dans des partis de douceur et d’équité. Cela se
fait, si vous voulez, par le seul dessein de contredire mon frère qui est pour
le despotisme et pour les troubles qui y mènent, mais cela va cependant au bien
des peuples. Certes, elle a grand tort de détourner le Roi de toute économie de
cour, et de promouvoir aux places des sujets indignes
On assure
que la demoiselle Morfi est plus que jamais la maîtresse du Roi et qu’elle a un
enfant de Sa Majesté. Elle est engraissée et embellie. Cependant la marquise de
Pompadour est plus aimée que jamais en apparence; mais l'on croit que sa disgrâce
est prochaine, le Roi aimant plus la dissimulation et les coups d’État que
toute autre chose.
La faveur
de cette dame diminue et est sapée sous main; les ministres insinuent doucement
à Sa Majesté qu’elle est obstacle à toute économie, et cependant le Roi se
trouve contraint dans ses dépenses; l’on croit que cela pourra aboutir un matin
à un divorce.
Novembre
1755 -
Le Roi
semble affecter plus que jamais de déférer le premier ministère à la marquise
de Pompadour. L’on voit bien que c’est par elle que passent les opinions et les
avis de quelques gens de travail et qui lui sont affidés, comme du garde des
sceaux Machault et de quelques ambassadeurs ou gens à portée de l’être, et c’est
dans ce centre d’affaires que le Roi trouve deux choses : la consolation contre
les événements fâcheux et des contrôles de ses ministres ordinaires ; tous y
courent et prennent ses ordres, hors mon frère.(…) Certes il vaut mieux voir au
gouvernail une belle nymphe debout, qu’un vilain singe accroupi comme était feu
le cardinal de Fleury; mais ces belles dames sont de l’humeur des chattes
blanches qui, plaisant d’abord par quelques signes, bientôt vous mordent et
vous égratignent par des caprices soudains.
Décembre
1755 -
Il a toujours la petite Morfi ; mais, pendant qu’elle était en couche cet été,
il a pris une seconde petite beauté dans l'intervalle, et c’est à celle-ci qu’il
se tient aujourd’hui. Ainsi Louis XV a aujourd’hui trois maîtresses. L’on tient
très secret ce troisième amour. Il peut être vrai qu’il marie la Morfi, comme
on dit.
(Le roi avait effectivement pris pour maîtresse la jeune soeur de la Morfi. Quant à la disgrâce de cette dernière, elle est due au complot qu'elle avait tramé avec Mme d'Estrades pour évincer la Pompadour)
(Le roi avait effectivement pris pour maîtresse la jeune soeur de la Morfi. Quant à la disgrâce de cette dernière, elle est due au complot qu'elle avait tramé avec Mme d'Estrades pour évincer la Pompadour)
Cependant par
mutinerie, et sur ce qu’on a dit qu’il renvoyait la marquise de Pompadour, il l’a
élevée plus que jamais à toute la sublimité de favorite déclarée. Toutes
grandes affaires passent par elle; il veut
que les ambassadeurs lui aillent rendre visite les mardis comme à la Reine.
La petite Morfi est sûrement mariée à un homme de condition (qu'on ne nomme
pas), et est partie avec lui pour une province éloignée. Le Roi a pris à son
service sa jeune sœur qui a dix-sept ans ; c'est un goût de notre monarque
d'aller ainsi de sœurs en sœurs.
(Elle fut effectivement mariée en novembre 1755 à un officier au régiment de Beauvoisis)
(Elle fut effectivement mariée en novembre 1755 à un officier au régiment de Beauvoisis)
Le Roi a marié sa maîtresse Mlle Morfi, irlandaise et fille
d'un savetier, à un homme de qualité, (dont on ne dit pas le nom), il est
parent de M. de Soubise, et ce prince a servi de témoin à ce mariage. On lui a
donné 200000 livres en argent, 1000 l. en bijoux et 1000 louis pour frais de
noces. On lui enjoignit à quatre heures du matin de partir pour Paris, et y fut
conduite : là elle reçut l'ordre imprévu de se marier, et il fallut bien obéir;
aussitôt après son mariage, ou la fit partir pour la province de son mari. Le
Roi s'est chargé de l'enfant qu'il a eu d'elle, et nous en verrons bientôt
faire un grand seigneur. S. M. a pris pour nouvelle maîtresse la fille d'une
coiffeuse (Mademoiselle Fouquet), que l'on dit être très jolie. La marquise de Pompadour reste
toujours l'amie et joue le rôle de premier ministre.
(à suivre ici)
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