Si Madame de Pompadour suscita bien des haines, celle que lui vouait le Marquis d'Argenson fut particulièrement mordante.
Voici, année par année (ici, 1748), ce qu'il rapporta d'elle dans son journal.
(lire l'article précédent ici)
Mars 1748 -
J'ai trouvé la marquise de Pompadour extrêmement changée; elle
était à la messe de la chapelle, coiffée de nuit, avec la mine du monde la plus
défaite et la plus malsaine ; elle ne peut résister à la vie qu'elle mène, de
veilles, d'occupations, de spectacles, et de penser continuellement à amuser le
roi, tandis qu'elle est encore occupée d'affaires et au milieu d'un tourbillon
de monde continuel.
Juin 1748 -
Il y a eu bouderie considérable entre le roi
et sa maîtresse, on ne sait encore sur quoi; mais ces légèretés, ces caprices,
ces fêtes mal fêtées annoncent souvent des ruptures, et en sont suivies de
près. Le roi a déclaré qu'il n'irait plus à Crécy, que le pays lui déplaisait
et que ces voyages coûtaient trop, ne disant pas si c'est à la marquise ou à
lui que cela coûte; on entend bien qui en paye le supplément.
Juillet 1748 -
On
pense ici que le roi renvoie la marquise de Pompadour et qu'il prend la
princesse de Robecq, de l'illustre maison de Montmorency. M. de Luxembourg, son
père,fait de son mieux pour la conclusion de cette affaire, qui doit être
conduite avec bien plus de décence que les autres. (ndlr : D'Argenson fait allusion à Anne-Marie de Montmorency-Luxembourg, princesse de Robecq.
En fait, cette passade n’aura guère de suite. La princesse de Robecq se
distinguera bientôt par sa haine pour le parti encyclopédique)
Septembre 1748 -
Il est plus grand
bruit que jamais que le roi va renvoyer la marquise de Pompadour, il en est
extrêmement dégoûté, il y a huit mois qu'il ne lui a touché du bout du doigt.
Les moyens de continuer le charme qu'elle emploie sont usés, tels que la
comédie, les ballets, la danse et la musique; déjà plusieurs courtisans
commencent à lui tourner le dos. Il peut arriver qu'enfin le roi connaisse et
sente toute la honte de ses fers ; il lit dans les secrets de la poste tout ce
qu'on dit contre lui, et il y voit souvent parler de la Poissonnaille (on appelait ainsi toutes les calomnies
colportées sur la Pompadour). Il serait à souhaiter que ce ne fût pas par
le secours de la bigoterie et aux dépens de sa raison que le roi quittât ainsi
l'abus des plaisirs. L'on croit que son tempérament est extrêmement usé et
réduit à peu de chose, pour avoir commencé trop jeune. Cependant il lui faudra
toujours quelque société de femme ; on parle de deux grandes dames de la cour ;
qu'elles se corrigent donc sur l'exemple de Mme de Pompadour, comme celle-ci
s'était corrigée sur celui de Mme de Châteauroux, pour ne pas suivre le roi à
ses campagnes ; que la nouvelle sultane ne vive avec Sa Majesté que comme une
amie respectée ; qu'on cesse cette vie à pot et à rôt avec une maîtresse qui
fait tant de tort au roi; enfin que toutes choses soient en ordre. (...)
Voilà le déplacement
de la marquise de Pompadour qui s'assure et s'avance, cela prend toute la
tournure de la quitterie de Mme de Mailly, des bouderies marquées, des duretés
tempérées par des douceurs affectées. Au dernier Choisy (autre château royal), la marquise fit la
malade et se mit au lit, au lieu de descendre dans la salle d'assemblée. Le roi
ordonna à son chirurgien la Martinière d'aller voir ce que c'était « et de ne
point mentir.» Le chirurgien dit qu'elle était véritablement indisposée; le
monarque reprit : « Mais a-t-elle de la fièvre ?- Non, sire. - Eh bien, qu'elle
descende. » Et elle descendit. Mais voici du sérieux. Le roi aime la princesse
de Robecq, fille de M. de Luxembourg. Avant de partir pour Choisy, Sa Majesté a
demandé à la reine que cette dame fût dame du palais à la première occasion ; la
reine a rêvé et a répondu que cela serait.
Novembre 1748 - Il y a eu quatre ou
cinq jours de grand froid entre le roi et la marquise de Pompadour. Elle est
certainement ambitieuse ; elle voudrait gouverner, et est poussée par des gens
qui voudraient gouverner par elle.
A
quoi il faut ajouter que M. de Richelieu, son ennemi, puissant ennemi en
paroles et en œuvres, habile aux intrigues de femmes, tant pour les séduire que
pour les faire valoir à un maître, M. de Richelieu, dis-je, va arriver à la fin
de décembre, pour faire son service de premier gentilhomme de la chambre; il
arrive couvert de gloire et de la réputation de prudence qu'il a acquise à
défendre Gênes ; il en a reçu récompense et illustration par le bâton de
maréchal de France et par des statues qu'on lui élève à Gênes. Voilà de
quoi faire trembler Mme de Pompadour. J'apprends que le grand refroidissement
est diminué, mais qu'il y a toujours du froid entre le roi et la dame. On en
verra bientôt le rejaillissement sur les Pâris.(...)
Le bruit est général que Mme de Pompadour va sortir de place.
Décembre 1748 -
Un courtisan m'a dit que le roi n'était, en effet, plus
amoureux de Mme de Pompadour, mais que le train de ses occupations le
constituait encore son esclave par habitude ; qu'il la reverrait, mais qu'il
déplaisait au roi de trouver ses cabinets vides de la compagnie avec laquelle
il était habitué d'y vivre, de sorte qu'il n'y avait qu'une nouvelle maîtresse
qui pût faire chasser celle d'aujourd'hui, quoiqu'il sentît bien toute la honte
de ses fers ; qu'il fallait absolument l'amuser par des bâtiments et remplir le
vide d'un esprit qui s'occupait peu du grand, et à qui il fallait du petit et
du mouvement. Ce courtisan, qui est un homme vertueux, m'a ajouté qu'on n'avait
jamais mieux senti qu'aujourd'hui le vice et les fripons, mais qu'en même temps
on n'avait jamais su si bien s'y soumettre, le peuple français sachant
parfaitement le commerce de l'intrigue et combien la vertu profite peu, combien
nous sommes destinés à ne voir de crédit qu'entre les mains des vicieux, des
fripons et des intrigants.
(à suivre ici)
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