dimanche 1 mai 2016

Madame de Pompadour, vue par d'Argenson (3)

 
Si Madame de Pompadour suscita bien des haines, celle que lui vouait le Marquis d'Argenson fut particulièrement mordante.
Voici, année par année (ici, 1748), ce qu'il rapporta d'elle dans son journal.

(lire l'article précédent ici)



Mars 1748 -
J'ai trouvé la marquise de Pompadour extrêmement changée; elle était à la messe de la chapelle, coiffée de nuit, avec la mine du monde la plus défaite et la plus malsaine ; elle ne peut résister à la vie qu'elle mène, de veilles, d'occupations, de spectacles, et de penser continuellement à amuser le roi, tandis qu'elle est encore occupée d'affaires et au milieu d'un tourbillon de monde continuel.

Juin 1748
 Il y a eu bouderie considérable entre le roi et sa maîtresse, on ne sait encore sur quoi; mais ces légèretés, ces caprices, ces fêtes mal fêtées annoncent souvent des ruptures, et en sont suivies de près. Le roi a déclaré qu'il n'irait plus à Crécy, que le pays lui déplaisait et que ces voyages coûtaient trop, ne disant pas si c'est à la marquise ou à lui que cela coûte; on entend bien qui en paye le supplément.
 
le château de Crécy, offert à la Pompadour en 1746
Juillet 1748 -
On pense ici que le roi renvoie la marquise de Pompadour et qu'il prend la princesse de Robecq, de l'illustre maison de Montmorency. M. de Luxembourg, son père,fait de son mieux pour la conclusion de cette affaire, qui doit être conduite avec bien plus de décence que les autres. (ndlr : D'Argenson fait allusion à Anne-Marie de Montmorency-Luxembourg, princesse de Robecq. En fait, cette passade n’aura guère de suite. La princesse de Robecq se distinguera bientôt par sa haine pour le parti encyclopédique)

Septembre 1748 -  
Il est plus grand bruit que jamais que le roi va renvoyer la marquise de Pompadour, il en est extrêmement dégoûté, il y a huit mois qu'il ne lui a touché du bout du doigt. Les moyens de continuer le charme qu'elle emploie sont usés, tels que la comédie, les ballets, la danse et la musique; déjà plusieurs courtisans commencent à lui tourner le dos. Il peut arriver qu'enfin le roi connaisse et sente toute la honte de ses fers ; il lit dans les secrets de la poste tout ce qu'on dit contre lui, et il y voit souvent parler de la Poissonnaille (on appelait ainsi toutes les calomnies colportées sur la Pompadour). Il serait à souhaiter que ce ne fût pas par le secours de la bigoterie et aux dépens de sa raison que le roi quittât ainsi l'abus des plaisirs. L'on croit que son tempérament est extrêmement usé et réduit à peu de chose, pour avoir commencé trop jeune. Cependant il lui faudra toujours quelque société de femme ; on parle de deux grandes dames de la cour ; qu'elles se corrigent donc sur l'exemple de Mme de Pompadour, comme celle-ci s'était corrigée sur celui de Mme de Châteauroux, pour ne pas suivre le roi à ses campagnes ; que la nouvelle sultane ne vive avec Sa Majesté que comme une amie respectée ; qu'on cesse cette vie à pot et à rôt avec une maîtresse qui fait tant de tort au roi; enfin que toutes choses soient en ordre. (...)
 
Voilà le déplacement de la marquise de Pompadour qui s'assure et s'avance, cela prend toute la tournure de la quitterie de Mme de Mailly, des bouderies marquées, des duretés tempérées par des douceurs affectées. Au dernier Choisy (autre château royal), la marquise fit la malade et se mit au lit, au lieu de descendre dans la salle d'assemblée. Le roi ordonna à son chirurgien la Martinière d'aller voir ce que c'était « et de ne point mentir.» Le chirurgien dit qu'elle était véritablement indisposée; le monarque reprit : « Mais a-t-elle de la fièvre ?- Non, sire. - Eh bien, qu'elle descende. » Et elle descendit. Mais voici du sérieux. Le roi aime la princesse de Robecq, fille de M. de Luxembourg. Avant de partir pour Choisy, Sa Majesté a demandé à la reine que cette dame fût dame du palais à la première occasion ; la reine a rêvé et a répondu que cela serait.

Novembre 1748 - Il y a eu quatre ou cinq jours de grand froid entre le roi et la marquise de Pompadour. Elle est certainement ambitieuse ; elle voudrait gouverner, et est poussée par des gens qui voudraient gouverner par elle.

A quoi il faut ajouter que M. de Richelieu, son ennemi, puissant ennemi en paroles et en œuvres, habile aux intrigues de femmes, tant pour les séduire que pour les faire valoir à un maître, M. de Richelieu, dis-je, va arriver à la fin de décembre, pour faire son service de premier gentilhomme de la chambre; il arrive couvert de gloire et de la réputation de prudence qu'il a acquise à défendre Gênes ; il en a reçu récompense et illustration par le bâton de maréchal de France et par des statues qu'on lui élève à Gênes. Voilà de quoi faire trembler Mme de Pompadour. J'apprends que le grand refroidissement est diminué, mais qu'il y a toujours du froid entre le roi et la dame. On en verra bientôt le rejaillissement sur les Pâris.(...)
 
Richelieu, grand ami de Voltaire
Le bruit est général que Mme de Pompadour va sortir de place.  

Décembre 1748 -
Un courtisan m'a dit que le roi n'était, en effet, plus amoureux de Mme de Pompadour, mais que le train de ses occupations le constituait encore son esclave par habitude ; qu'il la reverrait, mais qu'il déplaisait au roi de trouver ses cabinets vides de la compagnie avec laquelle il était habitué d'y vivre, de sorte qu'il n'y avait qu'une nouvelle maîtresse qui pût faire chasser celle d'aujourd'hui, quoiqu'il sentît bien toute la honte de ses fers ; qu'il fallait absolument l'amuser par des bâtiments et remplir le vide d'un esprit qui s'occupait peu du grand, et à qui il fallait du petit et du mouvement. Ce courtisan, qui est un homme vertueux, m'a ajouté qu'on n'avait jamais mieux senti qu'aujourd'hui le vice et les fripons, mais qu'en même temps on n'avait jamais su si bien s'y soumettre, le peuple français sachant parfaitement le commerce de l'intrigue et combien la vertu profite peu, combien nous sommes destinés à ne voir de crédit qu'entre les mains des vicieux, des fripons et des intrigants.

(à suivre ici)

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