samedi 27 juin 2015

Thérèse philosophe (5)

Roman pornographique (souvent attribué au marquis d'Argens) distribué clandestinement en 1748, Thérèse philosophe connut un succès considérable dans la France des Lumières.
Après la mort de sa mère, Thérèse vient de faire connaissance avec la Bois-Laurier qui lui raconte son passé libertin. Un jour, alors qu'elle était en compagnie de Mme Dupuis, une sexagénaire, elle a reçu la visite de "trois capucins"...


 ***
Un instant après entrèrent nos trois capucins, qui, peu accoutumés à goûter d’un morceau aussi friand que je paraissais l’être, se jettent sur moi comme trois dogues affamés. J’étais dans ce moment debout, un pied élevé sur une chaise, nouant une de mes jarretières. L’un, avec une barbe rousse et une haleine infectée, vient m’appuyer un baiser sur la parole ; encore cherchait-il à chiffonner avec sa langue. Un second tracassait grossièrement sa main dans mes tétons ; et je sentais le visage du troisième, qui avait levé ma chemise par derrière, appliqué contre mes fesses, tout près du trou mignon, quelque chose de rude comme du crin, passé entre mes cuisses, me farfouillait le quartier de devant ; j’y porte la main : qu’est-ce que je saisis ? la barbe du Père Hilaire, qui, se sentant pris et tiré par le menton, m’applique, pour m’obliger à lâcher prise, un assez vigoureux coup de dent dans une fesse. J’abandonne, en effet, la barbe, et un cri perçant, que la douleur m’arrache, en impose heureusement à ces effrénés et me tire pour un moment de leurs pattes. Je m’assis sur un lit de repos près lequel j’étais ; mais à peine ai-je le temps de m’y reconnaître que trois instruments énormes se trouvent braqués devant moi.
« Ah ! mes Pères, m’écriai-je, un moment de patience, s’il vous plaît ; mettons un peu d’ordre dans ce qui nous reste à faire. Je ne suis point venue ici pour jouer la vestale : voyons donc avec lequel de vous trois je…
« — C’est à moi ! s’écrièrent-ils tous ensemble, sans me donner le temps d’achever. — À vous, jeunes barbares ? reprit l’un d’eux en nasillant. Vous osez disputer le pas à Père Ange, ci-devant gardien de…, prédicateur du carême de…, votre supérieur ! Où est donc la subordination ? — Ma foi ! ce n’est pas chez la Dupuis, reprit l’un d’eux, sur le même ton ; ici, Père Anselme vaut bien Père Ange. — Tu en as menti ! » répliqua ce dernier en apostrophant un coup de poing dans le milieu de la face du très révérend Père Anselme. Celui-ci, qui n’était rien moins que manchot, saute sur Père Ange ; tous deux se saisissent, se collètent, se culbutent, se déchirent à belles dents ; leurs robes, relevées sur leurs têtes, laissent à découvert leurs misérables outils, qui, de saillants qu’ils s’étaient montrés, se trouvaient réduits en forme de lavettes. La Dupuis accourut pour les séparer ; elle n’y réussit qu’on appliquant un grand seau d’eau fraîche sur les parties honteuses de ces deux disciples de saint François.

Pendant le combat, Père Hilaire ne s’amusait point à la moutarde. Comme je m’étais renversée sur le lit, pâmée de rire et sans force, il fourrageait mes appas et cherchait à manger l’huître disputée à belles gourmades par ses deux compagnons. Surpris de la résistance qu’il rencontre, il s’arrête pour examiner de près les débouchés ; il entr’ouvre la coquille, point d’issues. Que faire ? Il cherche de nouveau à percer : soins perdus, peines inutiles. Son instrument, après des efforts redoublés, est réduit à l’humiliante ressource de cracher au nez de l’huître qu’il ne peut gober.
Le calme succéda tout à coup aux fureurs monacales. Père Hilaire demanda un instant de silence ; il informa les deux combattants de mon irrégularité et de la barrière insurmontable qui fermait l’entrée du séjour des plaisirs. La vieille Dupuis essuya de vifs reproches, dont elle se défendit en plaisantant, et, en femme qui sait son monde, elle tâcha de faire diversion par l’arrivée d’un convoi de bouteilles de vin de Bourgogne qui furent bientôt sablées.
Cependant, les outils de nos Pères reprennent leur première consistance. Les libations bachiques sont interrompues de temps à autre par des libations à Priape. Toutes imparfaites qu’étaient celles-ci, nos frapparts semblent s’en contenter, et tantôt mes fesses, tantôt leurs revers, servent d’autels à leurs offrandes.
Bientôt une excessive gaieté s’empare des esprits. Nous mettons à nos convives du rouge, des mouches : chacun d’eux s’affuble de quelqu’un de mes ajustements de femme ; peu à peu je suis dépouillée toute nue et couverte d’un simple manteau de capucin, équipage dans lequel ils me trouvèrent charmante. « N’êtes-vous pas trop heureux, s’écria la Dupuis, qui était à moitié ivre, de jouir du plaisir de voir un minois comme celui de la charmante Manon ? »
« Non, ventrebleu ! répliqua Père Ange d’un ton de fureur bachique ; je ne suis point venu ici pour voir un minois : c’est pour f..... un c.. que je m’y suis rendu ; j’ai bien payé, ajouta-t-il, et ce v.. que je tiens en main n’en sortira, ventredieu ! pas qu’il n’ait f....., fût-ce le diable ! »
Écoute bien cette scène, me dit la Bois-Laurier en s’interrompant ; elle est originale ; mais je t’avertis (peut-être un peu tard) que je ne puis rien retrancher à l’énergie des termes, sans lui faire perdre toutes ses grâces.
La Bois-Laurier avait trop élégamment commencé pour ne pas la laisser finir de même : je souris ; elle continua ainsi le récit de cette aventure :
« Fût-ce le diable, répéta la Dupuis, se levant de dessus sa chaise et élevant la voix du même ton nasillant que celui du capucin ; eh bien ! b....., dit-elle en se troussant jusqu’au nombril, regarde ce c… vénérable, qui en vaut bien deux ; je suis une bonne diablesse : f…-moi donc, si tu l’oses, et gagne ton argent ». Elle prend en même temps Père Ange par la barbe et l’entraîne sur elle, en se laissant tomber sur le petit lit. Le Père n’est point déconcerté par l’enthousiasme de sa Proserpine ; il se dispose à l’enfiler, et l’enfile à l’instant.
À peine la sexagénaire Dupuis eut-elle éprouvé le frottement de quelques secousses du Père que ce plaisir délicieux, qu’aucun mortel n’avait eu la hardiesse de lui faire goûter depuis plus de vingt-cinq ans, la transporte et lui fait bientôt changer de ton. « Ah ! mon papa, disait-elle, en se démenant comme une enragée, mon cher papa, f… donc ; donne-moi du plaisir !… je n’ai que quinze ans, mon ami ; oui, vois-tu ? je n’ai que quinze ans… Sens-tu ces allures ? Va donc, mon petit chérubin !… tu me rends la vie… tu fais une œuvre méritoire…
Dans l’intervalle de ces tendres exclamations, la Dupuis baisait son champion, elle le pinçait, elle le mordait avec les deux uniques chicots qui lui restaient dans la bouche.
D’un autre côté, le Père, qui était surchargé de vin, ne faisait que hannequiner ; mais, ce vin commençant à faire son effet, la galerie, composée des révérends Pères Anselme, Hilaire et de moi, s’aperçut bientôt que Père Ange perdait du terrain et que ses mouvements cessaient d’être régulièrement périodiques. « Ah ! b… ! s écria tout à coup la connaisseuse Dupuis, je crois que tu déb....., chien ; si tu me faisais un pareil affront !… » Dans l’instant, l’estomac du Père, fatigué par l’agitation, fait capot, et l’inondation, portant directement sur la face de l’infortunée Dupuis, au moment d’une de ses exclamations amoureuses qui lui tenaient la bouche béante, la vieille se sentant infectée de cette exlibation infecte, son cœur se soulève, et elle paie l’agresseur de la même monnaie.
Jamais spectacle plus affreux et plus risible en même temps. Le moine s’appesantit, écroulé sur la Dupuis ; celle-ci fait de puissants efforts pour le renverser de côté ; elle y réussit. Tous deux nagent dans l’ordure : leurs visages sont méconnaissables ; la Dupuis, dont la colère n’était que suspendue, tombe sur Père Ange à grands coups de poing ; mes ris immodérés et ceux des spectateurs nous ôtent la force de leur donner du secours ; enfin, nous les joignîmes, et nous séparâmes les champions. Père Ange s’endort ; la Dupuis se nettoie ; à l’entrée de la nuit, chacun se retire et regagne tranquillement son manoir.

Après ce beau récit, qui nous apprêta à rire de grand cœur, la Bois-Laurier continua à peu près dans ces termes :
Je ne te parles point du goût de ces monstres qui n’en ont que pour le plaisir antiphysique, soit comme agents, soit comme patients. L’Italie en produit moins aujourd’hui que la France. Ne savons-nous pas qu’un seigneur aimable, riche, entiché de cette frénésie, ne put venir à bout de consommer son mariage avec une épouse charmante, la première nuit de ses noces, que par le moyen de son valet de chambre, à qui son maître ordonna, dans le fort de l’acte, de lui faire la même introduction par derrière que celle qu’il faisait à sa femme par devant !
Je remarque cependant que messieurs les antiphysiques se moquent de nos injures et défendent vivement leur goût, en soutenant que leurs antagonistes ne se conduisent que par les mêmes principes qu’eux.
« Nous cherchons tous le plaisir, disent ces hérétiques, par la voie où nous croyons le trouver. C’est le goût qui guide nos adversaires, ainsi que nous. Or, vous conviendrez que nous ne sommes pas les maîtres d’avoir tel ou tel goût. Mais, dit-on, lorsque les goûts sont criminels, lorsqu’ils outragent la nature, il faut les rejeter. Point du tout ; en matière de plaisirs, pourquoi ne pas suivre son goût ? Il n’y en a point de coupables. D’ailleurs, il est faux que l’antiphysique soit contre nature, puisque c’est cette même nature qui nous donne le penchant pour ce plaisir. Mais, dit-on encore, on ne peut procréer son semblable, continuent-ils. Quel pitoyable raisonnement ! Où sont les hommes de l’un et de l’autre goût qui prennent le plaisir de la chair dans la vue de faire des enfants ? »
Enfin, continua la Bois-Laurier, messieurs les antiphysiques allèguent mille bonnes raisons pour faire croire qu’ils ne sont ni à plaindre ni à blâmer. Quoi qu’il en soit, je les déteste, et il faut que je te conte un tour assez plaisant que j’ai joué une fois en ma vie à un de ces exécrables ennemis de notre sexe.
J’étais avertie qu’il devait venir me voir ; et quoique je sois naturellement une terrible péteuse, j’eus encore la précaution de me farcir l’estomac d’une forte quantité de navets, afin d’être mieux en état de le recevoir suivant mon projet. C’était un animal que je ne souffrais que par complaisance pour ma mère. Chaque fois qu’il venait au logis, il s’occupait pendant deux heures à examiner mes fesses, à les ouvrir, à les refermer, à porter le doigt au trou, où il eût volontiers tenté de mettre autre chose, si je ne m’étais pas expliquée nettement sur l’article ; en un mot, je le détestais. Il arrive à neuf heures du soir ; m’ayant fait coucher à plat ventre sur le bord du lit, puis, après avoir exactement levé mes jupes et ma chemise, il va, selon sa louable coutume, s’armer d’une bougie, dans le dessein de venir examiner l’objet de son culte. C’est où je l’attendais. Il mit un genou à terre et, approchant la lumière et son nez, je lui lâchai, à brûle-pourpoint, un vent moelleux que je retenais avec peine depuis deux heures ; le prisonnier, en s’échappant, fit un bruit enragé et éteignit la bougie.

 Le curieux se jeta en arrière, en faisant, sans doute, une grimace de tous les diables. La bougie tombée de ses mains fut rallumée ; je profitai du désordre et me sauvai, en éclatant de rire, dans une chambre voisine, où je m’enfermai, et de laquelle ni prières, ni menaces ne purent me tirer, jusqu’à ce que mon homme au camouflet eût vidé la maison.
Ici, Mme Bois-Laurier fut obligée de cesser sa narration par les ris immodérés qu’excita en moi cette dernière aventure
 
(à suivre)

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