La sortie de De l'esprit (juillet 1758), de Claude-Adrien Helvétius, va fournir
aux dévots l'occasion inespérée de porter le coup de grâce à l'ennemi commun.
Dans cet ouvrage, l'ancien fermier général s’en prend à l'archaïsme des
structures sociales de l'ancien régime et plaide notamment en faveur d'une laïcisation de
l'enseignement. Dans un numéro de la Correspondance
Littéraire de l'été 1758, Diderot manifeste son enthousiasme auprès des
lecteurs : "Tout considéré, c'est un furieux coup de massue porté sur les
préjugés en tout genre. Cet ouvrage sera donc utile aux hommes...il sera pourtant compté parmi les grands livres du siècle."
Grave erreur ! Dès l'automne, le
déchaînement est général. Helvétius est sommé de se rétracter et de faire
amende honorable.
Les dévots, et parmi eux les jansénistes se
révèlent les plus féroces, se jettent aussitôt sur leurs ennemis, multipliant
les pamphlets contre les amis encyclopédistes d’Helvétius. Le 23 janvier 1759,
la Cour et les Chambres cite à la barre huit ouvrages considérés comme
subversifs. Parmi eux figurent De l’Esprit et le Dictionnaire encyclopédique.
Helvétius |
Au cours de son très véhément réquisitoire
(25 janvier 1759), l'avocat général Joseph Omer Joly de Fleury affirme
qu'Helvétius est le bras armé et visible d'"une secte de prétendus
philosophes."
Et l’acte d'accusation qui suit est implacable :
« La société, l'Etat et la
religion se présentent aujourd'hui au tribunal de la justice pour lui porter
leurs plaintes. Leurs droits sont violés, leurs lois sont méconnues, l'impiété
qui marche le front levé paraît, en les offensant, promettre l'impunité à la
licence qui s'accrédite de jour en jour.
L'humanité frémit, le citoyen est
alarmé; on entend de tous côtés les ministres de l'Eglise gémir à la vue de
tant d'ouvrages que l'on ne peut affecter de répandre et de multiplier que pour
ébranler, s'il était possible, les fondements de notre religion. (…)
Telle est la philosophie des faux
savants de notre siècle. Ils se donnent gratuitement le nom d'esprits forts, et
appellent lumière ce qui n'est que ténèbres. (…)
Eh ! quel mal leur a fait cette
religion sainte pour exciter leur fureur? Si ses dogmes, ses cérémonies et sa
morale les offensent, s'ils ne peuvent en être les disciples, pourquoi troubler
l'Etat et vouloir disputer aux autres la liberté de suivre les maximes de la
catholicité ?
Ils déchirent le sein de l'Eglise
qui Ies a adoptés pour ses enfants ; comme si l'Etat était coupable à leurs
yeux, parce qu'il est chrétien, ils conjurent la perte de l’un et de l'autre,
et cherchent à les saper par les fondements. (…)
Des hommes qui abusent du nom de
philosophe pour se déclarer par leurs systèmes les ennemis de la société, de
l'État et de la religion, sont sans doute des écrivains qui méritent que la
Cour exerce contre eux toute la sévérité de la puissance que le prince lui
confie (…)
Vos prédécesseurs, Messieurs, ont
condamné aux supplices les plus affreux, comme criminels du lèse-majesté
divine, des auteurs qui avaient composé des vers contre l'honneur de Dieu, son
Eglise et l'honnêteté publique (…)
La Cour rend son arrêt le 6
février. L'ouvrage d'Helvétius sera lacéré et brûlé au pied du grand escalier
du Palais. Quant à l'Encyclopédie, les sept volumes déjà publiés seront relus et révisés
par une commission de théologiens et d'avocats.
Un mois plus tard, après
intervention du parti de la reine, le Conseil du Roi rend un nouvel arrêt qui
révoque le privilège accordé à l'Encyclopédie en 1746. « L’avantage qu’on
peut retirer d’un ouvrage de ce genre pour le progrès des sciences et des arts
ne peut jamais balancer le tort irréparable qui en résulte pour les mœurs et la
religion »
L'encyclique du pape Clément XIII (septembre 1759) étend ensuite la sentence à l'ensemble des fidèles : « nous condamnons et réprouvons ledit ouvrage… comme contenant une doctrine et des propositions fausses, pernicieuses et scandaleuses, induisant à l’incrédulité et au mépris de la Religion, ouvrant la voie à la corruption des mœurs et à l’impiété. Défendons à tous et chacun des Fidèles… de le lire, garder ou copier ; et cela sous peine d’excommunication… »
Désormais, plus aucun libraire n'a le droit de vendre l'un des
7 volumes déjà parus, « à peine de punition exemplaire ».
En somme, l'arrêt de mort de l'Encyclopédie vient d'être prononcé... (à suivre ici)
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